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Témoignage(s) de MONTAGNON Jean Pierre

Le bombardement de Sochaux

Dans un premier temps, je me souviens d'une alerte. Personne ne sortait. Nous rentrions du Tunisie et nous avions emmené puis hebergé chez nous une veuve de guerre, Madame FLUCK. C'est elle qui a aperçu les fusées éclairantes au-dessus des usines qui ont, à mon sens, dévié de leur objectif initial. Je me souviens alors que les gens ont cédé à la panique dès que l'on a entendu ensuite les bombardiers Halifax commencer à piquer sur ce qu'ils croyaient être les usines.

Je me souviens d'un couple dont le mari avait oublié son portefeuille à la maison : " Bouge pas, a t-il dit à sa femme, je reviens de suite. " mais il ne reviendra jamais, à peine eût-il atteint sa maison qu'une bombe l'a soufflé contre le mur de celle-ci, le tuant net sur le coup, dechiqueté et assomé.

Nous voulions nous sauver en direction de Grange-la-Dame et nous avons emporté quelques habits. Le ciel était éclairé, les gens tentaient de trouver un passage.  Les Halifax ont piqué sur nous; une dame qui les a vu a tiré ma mère par le bras en disant : " Ils vont nous tomber dessus ! ", effectivement la bombe est tombée là où ma mère se tenait quelques instants auparavant. Les bombes s'enfoncaient dans le sol et éclataient avec un petit temps d'écart, ce qui causait d'énormes cratères et de hautes gerbes de terre.

C'est une de ces gerbes qui nous est retombée dessus, mon frère et moi. Ma grand-mère a eu trois doigts sectionnés dans l'explosion et ma mère a eu une jambe broyée qu'il a fallu raccourcir, ainsi qu'une machoire fracturée et une perte sévère de son audition. C'est ma grand-mère, malgré ses trois doigts en moins, qui nous a ressorti du monticule de terre sous lequel nous avons été enseveli, mon frère et moi. J'avais le nerf de ma jambe bloquée et j'ai du porter le restant de ma vie un appareil orthopédique. Ma mère fut évacuée sur une échelle pleine de paille en guise de brancard et mon frère et moi avons été transportés à l'hôpital de Montbéliard, tous les deux dans le même lit, le corps parsemés d'éclats métalliques et de gravillons et chaque fois que nous esquissions un moindre mouvement, cela nous faisait hurler de douleur.

Ma mère a été envoyé sur Besançon par un train spécial pour grands blessés. Le plus " drôle " dans cette affaire, c'est que notre maison n'a même pas été détruite et que si nous étions restés chez nous, nous aurions été sûrement en sécurité.

Mais nous n'avions qu'une seul envie, à cet instant, c'était de sauver notre peau. Il fallait que nous partions du lieu du drame, nous avions l'idée de nous diriger vers des champs dans le seul but d'échapper au bombardement.

Je suis un enterré vivant. J'ai vu la mort à six ans. Et c'est un réflexe qui m'a sauvé la vie : j'ai bougé la tête sur le côté et ce geste a déplacé une motte de terre et permis à ma grand-mère de me repérer et de me dégager.

Bien des mois, des années plus tard, après ce tragique événement, nous sommes revenus sur les lieux du drame où les cratères de bombes avaient formés de grands trous remplis d'eau et où nous pêchions des poissons. Comme quoi, la vie finit toujours par l'emporter.